L'homme pressé

Le réveil sonne, il se lève. Et les enfants à préparer, et le déjeuner à avaler. Est-ce qu'elles ont du goût, ces tranches de pain tartinées de confiture ? Qui sait ? Est-ce qu'on a le temps aussi, de se poser ce genre de questions ?

Et la voiture, et la route, et le bureau.

Ce n'est pas que ça l'ennuie, ce travail. Il y a les collègues qui sont sympas quand-même, et puis il les a aimées, ces études d'ingénieur, ou ce BTS, ou même ce bac pro. Peut-être qu'il travaille dans un atelier, peut-être qu'il a appris à travailler de ses mains. Et oui, on lui a appris à penser des choses, à construire des projets, à imaginer un résultat, à forger une idée pour la concrétiser d'une manière ou d'une autre. Et il a aimé ça, apprendre à devenir créateur de quelques chose, que ce soit un concept ou un objet concret. Il s'est senti important pendant un moment.

Et le train-train, et ce rythme effréné qui l'entraîne, inlassablement, irrémédiablement, il ne sait même pas où, au fond. Il ne sait même pas pourquoi.

Un jour, l'homme pressé ne s'est pas levé le matin. Il a renoncé à quelque chose, pour ouvrir une petite porte d'air frais. Il a renoncé, sciemment, délibérément, à une journée de travail, une journée de salaire. Il s'est autorisé à ne pas y aller, juste cette journée. Il a même renoncé à emmener ses enfants à l'école. Il a pris sa femme par la taille, il l'a embrassée comme jamais, comme la première fois, avec cette excitation du nouveau. Il a proposé qu'on ne prenne pas la voiture, mais qu'on aille simplement marcher tous ensemble. Il a proposé qu'on oublie la télé, les écrans, et qu'on sorte les vieux jeux de société qui prennent la poussière depuis des mois dans le placard. Il a proposé qu'on aille manger par terre dans le jardin, assis dans l'herbe, entre la balançoire et le massif d'hortensias. Il a ouvert son garage et retrouvé la vieille maquette de bateau qu'il avait commencé à construire il y a déjà 5 ans, mais que le temps et la patience requis avaient fini par écarter de ses préoccupations. C'est trop ardu, c'est trop long, c'est toujours trop, finalement, quand il s'agit d'aller lentement.

Et ils ont tous aimé ça. Et ils avaient tous des idées à proposer : et si on construisait une cabane ? Et si on adoptait un chien pour aller l'emmener en balade avec nous ? Et si on apprenait à dessiner des mangas ? Et si on lisait tous ensemble cette saga qui a l'air trop bien ? Et si on regardait un film ce soir ? Et si on cuisinait des crêpes ? Et si on commençait un potager, qu'on apprenait à en prendre soin ?



L'homme pressé est retourné travailler, il a repris sa place honnête et besogneuse dans la société. Mais il ne l'a plus jamais fait comme avant. À l'heure du petit déjeuner, il varie les plaisirs, et il prend le temps de dire bonjour aux enfants, à sa femme (Dieu qu'elle est belle !). Devant la machine à café, il a découvert que ses collègues avaient mille choses à partager quand il prenait le temps de poser les vrais sujets sur la table (Je ne savais pas que Julien était passionné de yoga, je devrais y aller avec lui un jour, pour découvrir). Et de temps en temps, il s'accorde une demi-journée de liberté, quelques heures de calme et de ralentissement. Parce qu'on n'a pas besoin d'être pressé, parce que quelle que soit la vitesse à laquelle on vit cette vie, il n'y a qu'un endroit où arriver, et pas de course à gagner. Parce qu'il suffit d'une journée de recul, une journée de rires et de bons moments, pour que tout le reste prenne une couleur différente, et qu'on se dise : après tout, qu'est-ce que je risque ?



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